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Le témoignage de Jean-Eudes, officier de l'administration dans l'armement

«Cette OPEX m'a permis de mûrir »

Pour sa première OPEX, Jean-Eudes s'est porté volontaire pour renforcer l'état-major français basé à Kaboul en Afghanistan. Pendant 6 mois « et 10 jours », ce jeune trentenaire a vécu une expérience opérationnelle inoubliable.

Pour quelles raisons vous êtes-vous porté volontaire pour cette OPEX en Afghanistan ?

Je pense que tout jeune commissaire des armées se doit de vivre cette expérience pour acquérir une connaissance opérationnelle indispensable à l'exercice de son métier. A l'été 2011, soit cinq ans après ma sortie d'école, j'ai candidaté sur le poste ouvert d'officier en Afghanistan. J'ai été retenu en novembre 2011 et je suis parti en mai 2012.

Estimiez-vous avoir suffisamment d'expérience pour occuper un poste en OPEX ?

Il n'y a pas que l'expérience qui compte. Il faut aussi faire preuve de bon sens, être à l'aise sur le plan relationnel, se montrer empathique, avoir la fibre opérationnelle, savoir s'adapter très rapidement et être curieux.

Quelle préparation avez-vous suivie avant votre départ ?

Elle a duré plusieurs semaines. Elle était très variée et assez intense comparée aux formations suivies dans le cadre d'autres missions comme le Tchad ou le Gabon. Elle portait principalement sur le volet opérationnel : tir, démontage et remontage des armes, tir rapproché, détection d'engins explosifs improvisés, premiers secours… J'ai aussi été briefé sur la culture afghane et j'ai pu discuter avec des militaires revenant d'Afghanistan.

L'Afghanistan est un théâtre d'opération assez sensible. Etiez-vous inquiet ?

Non. Ma préparation m'a permis de partir très serein.

Et votre famille ?

Elle avait une certaine appréhension, mais comme j'étais très au fait de ce qui m'attendait tout en étant bien formé, je pouvais les rassurer. Elle a bien compris que je ne partais pas la fleur au fusil, sans aucune préparation. Concernant mes trois petites filles, j'ai acheté une mappemonde pour leur montrer où j'allais et leur expliquer les raisons de mon départ et de la présence militaire française dans ce pays. A partir du moment où l'on clarifie les choses, l'inquiétude se dissipe.

Une fois arrivé sur place, comment avez-vous été accueilli ?

J'ai été très bien accueilli mais avec une petite pointe d'interrogation car le milieu armement du Commissariat des armées n'est pas très connu. Comme j'ai été parfaitement préparé sur le plan opérationnel, tout s'est bien passé. Je me suis vite adapté. Mais je reconnais que lorsque vous débarquez d'un poste de direction parisien dans une OPEX aussi sensible, vous devez prouver deux fois plus qu'un militaire d'infanterie que vous avez votre place au sein du contingent…

Justement, quelles étaient vos missions ?

Je coordonnais les demandes d'approvisionnements des bases françaises présentes dans le pays, en liaison avec notre prestataire, l'Economat des Armées et m'assurais que les réponses apportées étaient bien en adéquation avec les besoins des forces. Ceux-ci étaient très variés : hébergement, vivres, énergie, eau potable, téléphonie, infrastructures… de même que je suivais des contrats sur la protection de nos camps et l'utilisation de moyens héliportés de sociétés privées.

Cette responsabilité m'a amené à me déplacer régulièrement par avion, hélicoptère et voie terrestre sur des camps français et des bases internationales éloignées de Kaboul. Je me suis ainsi rendu en Kapisa, en Surobi, dans la région du Wardak, à Bagram, à Kandahar… et bien entendu de nombreuses fois dans Kaboul.

Par ailleurs, j'étais chargé de la gestion administrative d'un camp de munitions multinational dont la France assurait en tant que nation-cadre le financement principal. J'étais en contact direct avec le QG de l'ISAF (International Security Assistance Force) et les représentants des contingents étrangers. La France ayant annoncé son désengagement progressif, des négociations de haut niveau ont été engagées pour savoir quel pays allait lui succéder. Il a fallu par ailleurs rédiger des textes d'accord avec les autres pays de la coalition, un guide de bonnes pratiques et s'assurer que chaque pays contributeur participe à la bonne gestion de ce site sensible.

Avez-vous eu des contacts avec la population locale ?

Nous discutions souvent avec nos contractants afghans. Ils parlaient assez librement de la vision qu'ils avaient de la force de l'Otan, de ce qu'ils pensaient de notre présence sur leur territoire, comment ils voyaient l'avenir de leur pays, ce qu'ils allaient faire après le retrait de la coalition. C'était intéressant d'avoir ce regard local.

Quels événements vous ont le plus marqué ?

La perte de cinq militaires français durant notre mandat nous a tous beaucoup affectés. Lorsque l'on travaille à l'état-major, la nouvelle arrive vite et la tension est à son paroxysme. Il y a aussi eu cette grosse déflagration près de notre camp. Nous avons tous cru à une attaque alors qu'il s'agissait de l'explosion d'un dépôt d'hydrocarbure à quelques centaines de mètres. A priori un accident. Mais certains événements m'ont aussi marqué positivement, en particulier cette fraternité d'armes qui aide à gérer les peines, les doutes et permet de partager les petites joies. Elle ne peut se vivre que sur le terrain. C'est pourquoi je me souviendrai sans doute toute ma vie de cette première OPEX. Elle m'a fait mûrir tant sur le plan professionnel que sur le plan humain.

Une fois rentré en France, avez-vous senti le contrecoup de cette mission ?

C'était avant tout un contrecoup physique : je suis revenu avec quelques kilos en moins, non pas par manque de nourriture - nous étions très bien nourris, chose importante pour le moral du militaire… - mais à cause de la chaleur et de l'activité intense. La fatigue s'est aussi faite ressentir subitement de retour en France alors que sur place, le fait de travailler à fond tous les jours pendant 6 mois dans une atmosphère de tension ne me laissait sans doute pas le temps pour la ressentir. Malgré tout, je n'ai pris que 15 jours de vacances pour me reposer. J'avais hâte de reprendre mon travail, de revoir mes collègues, de leur faire partager mon expérience, bref de me replonger dans une vie normale.