Gauthier, commissaire des armées au sein de la Marine nationale, a participé à l'intervention militaire de la France en Libye en 2011 dans le cadre de l'opération Harmattan. Affecté sur la frégate légère furtive Guépratte avec plus de cent cinquante autres marins, le jeune homme a vécu une expérience hors du commun...
Le Guépratte revenait d'une mission européenne de lutte contre la piraterie dans l'océan Indien lorsque nous avons appris que nous partirions en Libye peu de temps après notre retour en France. Je savais que c'était une opération risquée et très intéressante sur le plan militaire. J'étais professionnellement très heureux de repartir. Mais familialement, c'était un peu compliqué, car je revenais d'une mission relativement longue (4 mois) et je n'avais pas beaucoup de temps pour revoir ma famille.
Nous nous sommes entraînés durant notre retour de mission dans l'océan Indien ainsi que lors de notre transit entre Toulon et la zone d'opération. Par ailleurs, chaque année, les marins suivent pendant plusieurs semaines un entraînement très intensif qui leur permet de se former à l'ensemble des missions réalisables par leur bâtiment. Ainsi, toutes les frégates de la Marine nationale sont opérationnelles pour le combat naval de haute intensité.
Lors de la mission en Océan indien, nous avions affaire à des pirates dotés d'armes légères qui pouvaient à tout moment tirer sur les marins. En Libye, nous étions face à de l'artillerie lourde, des chars, des missiles... Régulièrement proches des côtes pour contrôler l'espace maritime dans ses trois dimensions (sous la mer, sur la mer et au-dessus de la mer), préserver la paix et défendre nos intérêts, nous n'étions pas à l'abri d'un tir d'obus ou de roquette de la part des forces kadhafistes. La mission était donc potentiellement très dangereuse et les effets auraient été beaucoup plus dévastateurs en cas d'impact.
En tant que commissaire sur un bâtiment, une grande partie de mon travail se situait en amont de la mission avec la préparation logistique du bâtiment à quai : il ne s'agit pas de manquer de matériel une fois en mer ! Nous étions totalement autonomes et aucune relâche opérationnelle nous permettant de ravitailler n'était prévue sur toute la durée de notre déploiement. Responsable de la restauration, je me devais notamment de fournir des repas de qualité afin de soutenir le moral de l'équipage. Enfin, l'administration, les finances et la gestion des ressources humaines continuaient de me monopoliser ainsi que le personnel du service commissariat malgré les opérations, entre deux nuits blanches au poste de combat.
Outre ces fonctions de soutien embarqué, j'étais régulièrement officier de quart « aviation ». Mon poste de combat se situait à l'arrière du bâtiment dans la cabine aviation. J'étais en contact direct avec le pilote d'hélicoptère à qui je communiquais des éléments météorologiques ou opérationnels qui lui permettaient d'effectuer ses manÂuvres d'appontage et de décollage en toute sécurité.
Enfin, en tant qu' « expert juridique » du bâtiment, j'ai eu l'occasion de conseiller le commandant sur des questions d'ordre juridique et notamment de droit des conflits armés dont dépendaient ses décisions.
A mon poste de combat, j'ai eu l'occasion d'observer que certains tirs d'artillerie ne tombaient pas très loin du bateau. Pour autant, je n'ai pas eu peur, je me suis senti en permanence en sécurité. Ce n'est qu'une fois la mission terminée que j'ai pris conscience de ce que nous avions réellement vécu et du danger...
Oui quelquefois, lorsque les communications n'étaient pas coupées pour des raisons de sécurité. Nous échangions alors juste quelques nouvelles par téléphone, mais sans évoquer ce que nous vivions réellement.
J'ai été positivement surpris par notre capacité à restituer en opération des entraînements réalisés pendant des années. J'ai été heureux de constater la réelle force de l'équipage, ce moment où tous les marins donnent le meilleur d'eux-mêmes, se mobilisent, restent éveillés des heures tout en étant à 100% de leurs facultés pour riposter aux éventuelles menaces.
On est toujours heureux de partir en mission et toujours heureux de rentrer car on va pouvoir profiter de sa famille. Petite anecdote : l'équipage avait été désigné pour défiler au 14 juillet. Sur le chemin du retour, nous avons commencé à nous entraîner sur la plate-forme des hélicoptères avec des mouvements de sabre et d'armes d'infanterie. C'était un peu bizarre et décalé face à cette mission très dense que nous venions de vivre. J'avais déjà défilé en tant qu'élève officier. Je n'ai donc pas rejoint mes camarades sur les Champs-élysées. Mais quand je les ai vus, j'ai eu un sentiment de fierté au moins aussi grand que si j'avais été à leur côté.
C'était une mission exaltante, dure mais très intéressante. Elle m'a donné l'occasion de prendre pleinement conscience de notre responsabilité morale et de notre engagement militaire, de l'importance de notre mission et de notre devoir.