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Le témoignage de Morgane, commissaire des armées, ayant notamment servi au sein de l'armée de l'air

«Cette OPEX m'a appris à me connaître, à croire en moi, à me dépasser »

En octobre 2004, Morgane quitte son poste d'experte en logistique pour rejoindre un camp militaire français basé au Kosovo.

Votre première OPEX s'est déroulée au Kosovo. Aviez-vous le choix du lieu ?

Non mais j'attendais avec impatience de pouvoir partir. J'étais volontaire et lorsqu'une place s'est libérée, je n'ai pas hésité.

Pourtant l'emploi proposé était bien loin du poste que vous occupiez alors en France...

C'est vrai. J'étais alors dans un emploi d'expert en logistique et celui que l'on me proposait au Kosovo était plutôt orienté comptabilité et droit. Pour autant, l'armée n'envoie pas n'importe qui sur n'importe quel poste à l'étranger. Avant d'intégrer l'école du commissariat, j'étais déjà titulaire d'un master 2 en droit. Et une fois à l'école, j'ai suivi une formation administrative qui me permettait de remplir mes futures fonctions sur cette opération Je n'y allais donc pas sans compétences. D'ailleurs, par la suite, je suis toujours partie en OPEX sur des postes différents de ceux occupés en France.

Appréhendiez-vous cette OPEX en sachant que l'emploi ne vous était pas familier ?

Je partais effectivement vers l'inconnu. Heureusement, j'ai bénéficié de plusieurs jours de passation de consignes avec mon prédécesseur. J'ai aussi été aidée par l'équipe en place. Je savais également que je pouvais m'appuyer sur des spécialistes présents sur place et, au besoin, en France si j'avais des doutes sur certaines questions liées à la vérification des comptes.

Quant à l'aspect contentieux du poste, il demandait beaucoup de qualités relationnelles mais aussi des notions juridiques qui me sont revenues assez vite.

De plus, d'ancrage « air », vous assumiez vos fonctions au sein d'unités de l'armée de terre...

Je me suis en effet retrouvée avec des unités très marquées comme la Légion étrangère et des troupes de marines (infanterie, artillerie…). Je ne connaissais pas cet environnement. C'était un nouveau défi car la culture de l'armée de l'air est bien différente.

Mais au-delà d'être aviatrice, j'avais surtout à faire valoir des compétences techniques en tant que commissaire. J'ai aussi une personnalité que l'on n'a pas forcément l'habitude de voir dans un contexte militaire: l'adaptation s'est donc faite dans les deux sens…

Vous étiez aussi plongée dans un environnement très masculin. Comment avez-vous vécu cette réalité ?

Nous étions deux femmes officiers dans ce camp de 300 personnes, mais j'étais la seule issue de l'armée de l'air. En OPEX, nous sommes logés par grade. En ma qualité d'officier féminin (capitaine), j'occupais seule un bungalow. Comme les femmes sont peu nombreuses, elles sont moins soumises à la promiscuité que les militaires masculins. C'est un avantage.

Par contre, étant une femme, j'avoue m'être mis la pression pour être à la hauteur. Je voulais faire honneur à l'armée de l'air et prouver qu'une femme militaire pouvait être tout aussi réactive que ses camarades masculins.

En tant qu'officier contentieux, quelles furent vos missions là-bas ?

Je devais négocier les dédommagements des préjudices causés par la Force aux particuliers serbes et albanais. Je me rendais sur les lieux pour constater les dommages : un accident de véhicules, des manœuvres dans des champs qui détruisaient les cultures en cours… Je procédais à une petite investigation pour voir s'ils étaient bien imputés à la Force, puis je faisais faire des expertises pour déterminer s'il fallait ou non indemniser la personne. J'étais donc en contact avec la population locale, des experts et l'Otan qui avait une politique d'indemnisation. On se coordonnait et si nous n'arrivions pas à trouver un accord face à un litige, nous allions jusque devant les juridictions du Kosovo.

Et en tant que commissaire vérificateur ?

J'étais chargée de vérifier les comptes matières, la comptabilité des fonds et la régularité des documents administratifs détenus par la base qui se trouvait alors en Macédoine. Elle a d'ailleurs été démantelée pendant mon mandat, j'ai procédé aux opérations de vérification de sa dissolution.

Avez-vous rencontré des situations professionnelles particulières en tant que femme commissaire ?

Oui par exemple, pendant la phase de négociation des dédommagements, la population locale serbe et albanaise préférait s'adresser au sous-officier chargé d'assurer ma sécurité ou à l'interprète plutôt qu'à moi. C'est une habitude culturelle car le relationnel entre les hommes et les femmes est différent au Kosovo. Ce n'était pas forcément simple à gérer.

Autre cas, plus anecdotique, j'étais souvent désignée pour être l'accompagnatrice du chef dans des cadres diplomatiques. Je me suis aussi aperçue qu'on ne me disait pas forcément les choses aussi directement que si j'avais été un homme.

Vous avez passé Noël et le Nouvel An dans le camp. Quels souvenirs en gardez-vous ?

C'était assez surréaliste. Nous fêtions la Saint-Sylvestre dans un grand hangar à côté de véhicules de guerre, il y avait de la musique, nous dansions en treillis avec l'arme au côté. Tout était bien organisé et je me souviens que le menu était très bon. C'était comme si on vivait temporairement une autre vie. On a d'ailleurs ce sentiment pendant toute la durée de l'OPEX, surtout pour une femme totalement déchargée des courses, des repas… Mais ce soir-là, le monde extérieur nous a rattrapés : la télévision diffusait les terribles images du tsunami en Asie. Nous avons décidé d'organiser une collecte pour les victimes. Cette catastrophe naturelle nous a rappelé à la vie réelle et que nous en faisions aussi partie.

Du coup, le retour en France a-t-il été psychologiquement difficile à gérer ?

Oui, d'autant que je devais rester sur cette OPEX initialement quatre mois, et que l'on m'a ensuite dit que j'allais rentrer plus tard, à quatre mois et demi, puis à cinq mois, pour finalement ne partir qu'au bout de six mois.

Même si cela est un peu dur sur le moment, notamment pour la famille, nous devons savoir être disponibles et savoir nous adapter : cela fait partie de notre métier.

Et paradoxalement, de retour en France, un manque se crée. Laisser cette vie derrière soi, les gens que l'on a appris à connaître, pour retrouver quelque chose qui est moins dans l'adrénaline, des contraintes qui ne vous manquent pas - les fameuses tâches domestiques -, cela nous rend nostalgique.

En même temps, vous êtes contente de retrouver vos proches, mais c'est comme si c'était lointain et impalpable. Vous êtes en fait dans un état un peu bizarre de « slow motion ».